PROPOS RECUEILLIS EN 2014 PAR NASSUF DJAILANI
Une partie de l’œuvre traduite du romancier et essayiste Abdulrazak Gurnah a été publiée aux éditions Galaade en France. Une maison d’édition qui n’existe plus aujourd’hui. Son éditrice, Emmanuelle Collas a lancé une autre maison et enchaîne les prix. Dans le cadre de la publication d’un numéro sur la littérature de Zanzibar nous avions sollicité sa traductrice pour évoquer son précieux travail sur cet écrivain majeur. Nous republions ici l’entretien avec son excellente traductrice Sylvette Gleize, qui traduit entre autres l’œuvre d’Edouard Saïd, celle d’Irvin Yalom ou encore celle prolifique de Tariq Ali, et qui donne à lire la subtilité et la richesse de la langue d’Abdulrazak Gurnah.
Entretien paru dans un numéro épuisé de la revue PROJECT’ÎLES sur la littérature de Zanzibar, avant l’annonce du Nobel 2021 attribué à Abdulrazak Gurnah.
PROJECT-îles : D’abord comment s’est passée la rencontre avec cette œuvre ? Est-ce que l’éditeur est venu vous chercher ou est-ce que vous connaissiez son univers que vous aviez souhaité faire découvrir ?
Sylvette Gleize : Ma première rencontre avec l’œuvre d’Abdulrazak Gurnah date de 2004. Je la dois à Pierre Astier, alors directeur du Serpent à Plumes, qui avait déjà publié Paradis. Il m’a proposé de traduire By the Sea. C’est alors que l’histoire se complique, car je venais d’en terminer la traduction quand la maison d’édition a été démantelée. J’ai finalement obtenu de récupérer mes droits sur le texte français et pu le proposer chez Galaade où, étonnante coïncidence, Emmanuelle Collas venait d’acquérir les droits de Desertion. A la lecture de By the Sea, elle a été emballée. C’est ainsi qu’en quelques semaines, après maints rebondissements, Près de la mer a vu le jour aux éditions Galaade. Bien avant Adieu Zanzibar.
PROJECT-îles : Comment trouvez-vous la langue de Gurnah, comment qualifierez vous son style ? Quelles sont d’ailleurs les difficultés de travail de traduction ? Est-ce que l’auteur avait un regard à priori en amont de la publication ?
Sylvette Gleize : J’ai donc découvert Abdulrazak Gurnah en traduisant By the Sea. Et j’ai été aussitôt séduite. Une écriture fine, légère, précise, sensuelle et profonde à la fois. Touchant à l’indicible parfois, d’où la difficulté à la traduire. Il n’y a pas de texte littéraire facile à traduire, mais certains le sont encore moins que d’autres. Et l’anglais de Gurnah est de ceux-là. Car Gurnah sonde les profondeurs de l’âme dans de tout petits riens parfois, quelques mots laconiques suffisent.
PROJECT-îles : Votre traduction des deux romans Près de la mer et Adieu Zanzibar sont de très bonnes traductions, on ressent la force de l’écrivain, le souffle, une écriture subtile, notamment dans Près de la mer, aviez-vous eu besoin d’aller sur les lieux pour mieux rendre les atmosphères ou la seule imagination suffisait ?
Sylvette Gleize : Comment expliquer, d’ailleurs, qu’on ne traduit pas des mots, mais ce qu’il y a derrière les mots. La traduction, c’est avant tout deux choses, je crois : l’écoute et le rythme. L’écoute, celle d’une voix singulière, la voix de l’auteur, de ce qu’il dit avec ces mots qui sont les siens (car plus qu’avec les personnages, l’empathie c’est avec l’auteur qu’on doit l’avoir). Et le rythme, bien sûr, celui de la phrase, car sans rythme il n’y a pas de style.
PROJECT-îles : Comment abordez vous votre travail de traductrice, c’est un travail de création aussi d’une certaine manière, avez-vous besoin d’être en empathie avec les personnages cela va de soi, avec l’écrivain ?
Sylvette Gleize : La traduction est affaire de justesse et d’équilibre. Trouver le mot juste. Trouver l’équilibre entre une fidélité indéfectible à l’auteur et la liberté qu’il faut absolument se donner pour que le texte traduit ait sa propre vie. Tout le travail du traducteur est dans cet équilibre-là. Un travail de création, oui, long et ardu, exaltant le plus souvent.
Mais pour revenir à l’univers d’Abdulrazak Gurnah, son évocation de l’Orient a été pour moi un éblouissement. Cette Afrique que je ne connaissais pas, que je n’imaginais pas aussi « orientale », celle de l’Océan Indien, tout en secrets, méandres et mystères (comme toujours chez Gurnah), je n’ai pas eu besoin de m’y rendre pour la traduire, je me suis simplement laissé porter, ce qui n’empêche pas – ce qui exige même – tout un travail de recherche, de même que rigueur et précision. L’envie n’en est pas moins là désormais d’aller voir sur place, du côté de Zanzibar.