PAR JOHARY RAVALOSON
« Un beau jour de mars 1760, un jeune astronome de l’Académie des sciences, avide d’étoiles et de gloire, embarque pour les Indes. Sa mission : observer le transit de Vénus devant le Soleil afin d’estimer avec précision la distance de la Terre au Soleil. Mais rien ne se passe comme prévu. L’escapade va durer onze ans, six mois et treize jours et se transformer en un véritable roman picaresque. La très véridique et très édifiante histoire de Guillaume Joseph Hyacinthe Jean-Baptiste Le Gentil de la Galaisière (1725-1792) nous conduit de Coutances à Paris, de l’Île-de-France, ancienne et future Mauritius, aux Indes, en passant par Madagascar et les Philippines. » (Résumé de l’éditeur)

Deux occasions lui sont offertes pour observer ce transit. La première est manquée, car le comptoir français de Pondichéry où il devait le faire est pris par les Anglais et notre Le Gentil ne peut regarder les côtes indiennes que de son bateau. La seconde, huit ans après, est aussi manquée ; cette fois-ci, à cause d’une mauvaise météo qui empêche toute visibilité. Vénus part ensuite pour une longue éclipse de cent quarante ans. L’astronome normand ne sera pas le seul « cocu » de cette histoire.

Cent cinquante et un observateurs se sont répartis dans soixante-dix-sept stations différentes. La France avait envoyé Alexandre Pingré et Fleurié à Saint-Domingue. Le condisciple et ami de Le Gentil, Jean Chappe d’Auteroche, après avoir observé le transit de 1761 depuis la Sibérie, part à San José, en Californie, où il décèdera, victime d’une épidémie, peu après avoir rempli sa mission. L’Anglais Charles Green, l’astronome qui a accompagné James Cook (1728-1779) dans l’exploration des mers du Sud, recueille de bons résultats sur l’île d’Otaheite, devenu Tahiti. Mais c’est Joseph-Jérôme de Lalande (1732-1807), concurrent et autre ami, plus doué, qui fait la synthèse de tous les résultats et en tire la parallaxe solaire la plus précise possible.
Entre les deux transits, car on est encore loin de l’épopée des Messageries Maritimes, Le Gentil patiente en sillonnant les rives françaises de l’océan Indien, rendant service par-ci, relevant les coordonnées géographiques d’un comptoir par exemple, celui de Foulpointe (Madagascar), ou ramassant des échantillons d’histoire naturelle, glanés sur les plages malgaches, dans les montagnes de Bourbon, sur les récifs philippins ou les campagnes indiennes, représentant un « petit pactole scientifique » de huit caisses, qui, laissé aux bons soins de Pierre Poivre et de Philippe de Commerson, disparaît mystérieusement entre les quais de Port-Louis et de Lorient.
Avec une verve de conteur, Christophe Migeon nous livre par la même occasion « l’histoire scientifique du Grand Siècle, une époque où la coopération des savants prévalait sur les conflits mondiaux et où l’on parlait azimut ou parallaxe dans les salons de ces dames. » Malheureusement ce Grand Siècle n’illumine guère que Versailles, ou tout au plus une constellation de réseaux reliant les capitales des grands royaumes à leurs bases coloniales. Et encore !
Le reste vit dans l’obscurité. Dans sa poisse existentielle, Le Gentil le découvre et nous, en le suivant, découvrons le monde en voie de mondialisation. Précis et documenté, le roman nous montre la distance parcourue, les ruptures ou les continuités des rapports de dominations et des échanges inégaux. Au plus près de notre astronome, nous verrons les travers de la nature humaine, laquelle, même celle des plus éduqués, pâtit, moins encadrée, loin des centres de civilisation. Nous comprendrons aussi les forces et les faiblesses qu’on peut ressentir face à l’adversité. Et que, somme toute, une mauvaise étoile peut former un destin hors du commun et construire son homme.
Christophe Migeon, MAUVAISE ÉTOILE ou les calamiteuses mais véridiques tribulations d’un astronome dans les mers de l’Inde, Éditions Paulsen, Paris, 2021, 391p.