Capitaine Alexandre lauréat du Prix littéraire des Rotary clubs de la langue française 2020

PROPOS RECUEILLIS PAR MAGALI DUSSILLOS ET NASSUF DJAILANI

Le désormais romancier, slameur, Marc-Alexandre Oho Bambe vient de remporter le Prix littéraire des Rotary clubs de la langue française 2020. Il nous a accordé un entretien autour de son dernier roman : Les lumières d’Oujda (éditions Calman Levy, 2020).

Rencontre.

PROJECT-ILES : Pourquoi ce titre Les lumières d’Oujda, alors que l’histoire du roman raconte, entre autres, une tragédie ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : La tragédie du monde n’empêche pas à mon sens la lumière des êtres et des choses essentielles de la vie, les utopies qui nous fondent et font de nous celles et ceux que nous sommes, la poésie, l’amour, l’amitié, affinités électives qui sauvent, relèvent, élèvent vers soi.

J’ai choisi ce titre par évidence amoureuse, et parce que je crois fondamentalement que le désespoir est un luxe que je ne peux et ne veux me permettre. Et puis ce roman raconte aussi, l’espérance des femmes et des hommes. Et les lumières qui éclairent ou peuvent éclairer, chaque chemin de vie.

PROJECT-ILES : Vous précisez que ce roman est né de la croisée de différents genres dont le genre journalistique. En effet, vous expliquez qu’il s’appuie sur une enquête faisant de ce texte aussi un « roman documentaire ». Pouvez-vous expliquer votre démarche et ce qui vous a poussé à l’entreprendre ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Ce roman est né d’une rencontre humaine bouleversante avec un jeune réfugié, Ibrahima, à Arles il y a quelques années. Son parcours qu’il m’avait alors raconté, et son rêve de de devenir écrivain me rappelant à moi-même, je m’étais promis d’écrire un texte, un jour, en hommage à cette jeunesse de plein vent défiant les déserts et les océans. Et la vie qui a toujours plus d’imagination que nous, a fait le reste, me conduisant ici et là, à la rencontre et m’invitant à accueillir et cueillir paroles nomades de résilience et résistance. J’ai commencé à enquêter, à questionner les raisons du départ de chacune, de chacun, de toutes et de tous, que je rencontrais, jusqu’aux miennes propres.

PROJECT-ILES : En plus de votre socle littéraire, les influences et les courants qui semblent vous enthousiasmer sont liés à la musique, à l’oralité, à l’oralittérature. Pensez-vous qu’il soit possible dans un roman de résoudre les paradoxes entre l’écrit et l’oral ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Personnellement je ne vois pas, et n’ai jamais vu de paradoxe entre l’écrit et l’oral.

J’écris depuis toujours, du bout des lèvres. Et les auteurs, poètes ou romanciers qui me touchent au cœur, et m’ont fait basculer radicalement en littérature, sont des auteurs dont l’écriture est rythme, tempo, frénésie, mélodie bleue. D’ailleurs je pense que la poésie est musique de mots, et je me présente souvent à mes étudiants en classe de déclamation, comme « motsicien », ça les fait sourire et en même temps ça plante le décor du travail que nous aurons à faire ensemble.

L’oralité est une écriture du cœur et du corps, et quand cœur et corps tombent en accord, on peut toucher à la grâce, parfois.

PROJECT-ILES : Vous prenez le risque d’écrire un roman-poème, un roman-slam, une technique déjà employée dans votre précédent roman Dien Bien Phû, et votre nouvel éditeur vous a suivi. Est-ce qu’il y a une volonté chez vous de casser les codes du roman ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Non il n’y a aucune volonté chez moi de casser quoi que ce soit, j’ai une seule ambition en littérature, comme dans la vie, c’est d’écrire et vivre juste, en phase et en phrase avec moi-même. J’écris en suivant mes intuitions et fulgurances. Et j’ai le bonheur grand, d’avoir un éditeur qui fait confiance à ces intuitions et fulgurances, assez pour les porter à la connaissance de lectrices et lecteurs potentiel(le)s.

C’est amusant que vous évoquiez dans votre question la notion de risque, dans le fait de prendre le «risque d’écrire un roman-poème», je porte tatoué dans l’âme ces mots-mantra «Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.» C’est que je fais depuis l’âge de 16 ans, et mes premiers écrits partagés, mes premières scènes de Rap, aller vers la poésie qui est mon risque, mon bonheur et ma chance. Définitivement.

PROJECT-ILES : D’où vous vient cette nécessité de transmettre la capacité de Réapprendre A Parler, mais surtout ici, peut-être, de réapprendre à lire ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Sans me laisser aller à faire de psychologie de comptoir (rires), je pense que cette nécessité vient de ma mère veilleuse, qui était enseignante de lettres et de philosophie à Douala où je suis né et où j’ai grandi. Ma mère était une femme exceptionnelle, une femme de transmission, auprès de ses élèves, de ses enfants, et des ses ami(e)s auxquel(le)s elle passait la poésie et l’amour des mots, au sein d’un cercle littéraire qu’elle animait à la maison.

PROJECT-ILES : Votre écriture « vocale », ou du moins à finalité orale est-elle compatible avec la lecture solitaire qui est souvent celle que l’on associe au genre romanesque ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Ce n’est pas à moi de dire ce qui est compatible ou non entre (mon) écriture et (la) lecture, je lis à voix haute beaucoup, et j’ai le bonheur d’avoir des lectrices et des lecteurs qui me lisent ainsi aussi, et d’autres de manière plus classique, et qui s’y retrouvent quand même (rires). Donc a priori tout va bien, on peut (me) lire de mille manières, solitaire, solidaire, avec cœur et corps, dans un balancement incessant entre soi, son rythme et le mien marqué par le tempo de mes mots.

PROJECT-ILES : Finalement ce livre n’est-il pas destiné à être partagé ? Lu en collectivité ? Ou mis-en-scène comme l’évoquent certains passages des Lumières d’Oujda (« Mongo. Intérieur nuit. », P°61) ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Toute littérature, tout poème est destiné à être partagé à mon sens.

Et il est vrai, que j’envisage plusieurs formes de mises en voix et en espace de ce texte choral qui se prête au « je » multiple de voix que j’entends multiples elles aussi, sur une scène de théâtre par exemple.

PROJECT-ILES : « Décoloniser les esprits » ne passe-t-il pas aussi par la langue ? On pense à la dub poetry qui contribue à donner ses lettres de noblesse au créole. Des termes anglais reviennent régulièrement et rythment le récit, les mots écrits dans les langues parlées par vos différents personnages sont plus rares au début et surgissent pour dire d’abord le deuil, la perte. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Les termes anglais qui surgissent dans le livre, sont juste une manière de parler au Cameroun où j’ai grandi, où nous avons et utilisons un camfranglais, sorte de créole composé de mots de langues locales, de français et d’anglais. C’est une réalité pluri -linguistique du pays, et une expérience sensorielle que je ne pouvais pas ne pas retranscrire et partager dans un texte porté par la voix d’un narrateur Camerounais.

PROJECT-ILES : Les citations littéraires, les titres d’œuvres, les noms de personnages ou d’auteurs émaillent votre texte. Le recours à la littérature par ces personnages qui subissent une violence presque indicible est-il en lui-même une utopie ou c’est quelque chose que vous avez constaté auprès des réfugiés et du père Antoine lors de votre enquête documentaire et journalistique ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Le recours à la littérature, le recours au poème, sont essence de mon rapport à l’existence, je pense comme Frankétienne, professeur d’espérance, que la littérature et la poésie ne peuvent rien contre le chaos du monde, mais « une seule phrase dans un seul livre peut bien sauver toute l’humanité »

Cette phrase-étincelle m’accompagne, m’a porté et me porte pendant les rencontres avec les jeunes fugees dont certains sont personnages du roman, et j’ai constaté leur besoin de sens aussi, leur besoin de mots pour se dire et dire le monde, dire leur besoin de ne pas être exclus du monde, dire leur marche et leur quête au cœur du monde.

PROJECT-ILES : Qu’est-ce que vous entendez par roman documentaire ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Un texte qui tresse en son cœur en son corps, part romanesque, fiction pure, invention absolue et part de réel, réalité brute, interviews, situations vécues.

PROJECT-ILES : A force de vous lire, il semble que le rythme poétique s’empare du lecteur tenté de poétiser à son tour, de façon naturelle, décomplexée. Ce roman fait-il pour vous partie de votre « enseignement » dans le sens ou vous définissez votre volonté de transmettre la poésie, la littérature lorsque vous rencontrez des jeunes dans les établissements scolaires et lors d’ateliers d’écriture ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Je suis heureux si ce texte aide à décomplexer le rapport au rythme poétique, heureux si il contribue à rendre la poésie inévitable et contagieuse selon la formule consacrée d’un poète que j’aime, Jean-Pierre Rosnay, encore plus heureux si le texte invite au cœur de son poème à soi, celui que l’on porte toutes et tous en nous, j’en suis intimement convaincu. Et mon travail avec les jeunes, dans les établissements scolaires et lors des ateliers que nous menons avec mon Collectif d’artistes, On A Slamé Sur La Lune, consiste à démocratiser la poésie.

PROJECT-ILES : Les personnages expriment ouvertement leurs opinions et engagements politiques, proches parfois du découragement et cependant, le recours à l’utopie n’est jamais loin. Votre engagement en tant que poète est-il résolument optimiste ?

Marc-Alexandre Oho Bambe : Je vais laisser à Césaire le mot de la fin, (rires), « je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté »

Et puis vous savez, l’utopie n’est pas ce qui n’existe pas, mais ce qui n’existe pas encore. Et je pense qu’il faut nommer les choses pour qu’elles adviennent, il faut le croire pour le voir. Alors je fais ma part, modestement, pour voir un jour ce en quoi je crois depuis toujours. Et ce n’est pas grave si je n’y arrive pas, j’aurais fait de mon mieux, sans jamais me résigner ou me résoudre à la vulgarité et au cynisme ambiants.

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