« En tant que femme mahoraise, j’écris ce que la bouche refuse de dire… » prévient Charifati Soumaïla

PROPOS RECUEILLIS PAR SOIDIKI ASSIBATU

Vérité foudroyante est le nom de la première pièce de Charifati Soumaila. Une nouvelle voix féminine sur la scène littéraire de Mayotte où très peu de femmes sont présentes. Pour rappel, il faut signaler qu’avant elle, en 2016, Zahara Silahi a publié une pièce intitulée La rumeur à compte d’auteur, chez Edilivre. Elle met en scène le commérage des femmes qui meuble le quotidien. Avec sa pièce, et cette voix Charifati Soumaïla nous dévoile une réalité de la société mahoraise. En effet, elle dit l’expérience des femmes en donnant à lire sa « vérité foudroyante » sur la relation homme/femme. Une pièce publiée dans la collection Maandzishi aux éditions Anibwé à Paris.

Rencontre avec celle qui prend date et qui ne veut plus se taire.

Après Laoura Ahmed, Vérité foudroyante vient enrichir les pièces écrites par des femmes à Mayotte. © Soidiki Assibatu

PROJECT-ILES : Dans un espace où très peu de femmes écrivent, où très peu de femmes occupent la scène littéraire, pourriez-vous nous dire comment vous êtes arrivée à l’écriture ?

Charifati Soumaila : Etant professeure au collège, je coanime un projet de théâtre depuis trois ans, et cette année, j’ai pris l’initiative de proposer la pièce à mon groupe d’élèves. Ils ont pris du plaisir à la jouer dans l’établissement scolaire et dans le village de Chiconi. Ainsi, j’ai décidé avec l’appui de mes collègues de faire publier cette pièce pour garder une trace écrite et un souvenir pour mes élèves. J’ai alors pris goût à l’écriture et je suis actuellement en train de finaliser ma prochaine pièce. 

PROJECT-ILES : Pourquoi ce choix-là du titre ? 

Charifati Soumaila : Pourquoi ai-je choisi le titre Vérité foudroyante ?    

C’est parce que pour moi, ce livre dévoile un côté sombre de notre tradition imposée par certaines personnes pour tirer profit. Ce titre met en lumière le dysfonctionnement de notre société à travers les relations conflictuelles entre les familles et les époux. Il s’agit d’une vérité qui évoque des faits vécus, entendus voire même ressentis mais que personne n’ose dire haut et fort pour ne pas être jugé par cette maudite société.  

C’est le cas de Mafidia qui découvre une vérité déchirante au sujet du comportement ignoble de son mari, assoiffé de tromperie et de manipulation au point de commettre les pires bassesses… Puis, Fidia qui semble être au courant du donjuanisme de son père, souffre de cette terrible vérité au point d’haïr sa propre vie…  

PROJECT-ILES : La question qui nous vient juste après : pourquoi le choix du théâtre pour dire votre « vérité foudroyante » sur les relations Homme/femme, Père/fille dans la société mahoraise ?

Charifati Soumaila : Pour aborder un sujet délicat tel que la tromperie, la maltraitance…, il est plus simple pour moi de passer par le théâtre. En effet, à travers les différents types de comique au théâtre, on dédramatise l’ampleur ou la gravité de la situation en condamnant à travers le rire.

PROJECT-ILES : Le théâtre permet-il, selon vous, de mieux faire entendre la voix des victimes, notamment de la gent féminine ?

Charifati Soumaila : Effectivement, je pense que le théâtre est un des moyens efficaces pour faire entendre la voix des victimes. C’est une sorte de thérapie qui leur permet de se libérer et de s’exprimer à travers les gestes, la parole théâtrale… Mais derrière cela, il y a une souffrance qui ne serait pas décrite de la même manière dans un roman. 

PROJECT-ILES : Y a-t-il, chez vous, une volonté d’être le porte-parole des sans voix, ici les femmes ? Vous considérez-vous comme tel dans votre projet d’écriture ?

Charifati Soumaila : Peut-être que certains le pensent, mais ce n’est pas du tout ma priorité dans mon projet d’écriture. En tant que femme mahoraise, j’écris ce que la bouche refuse de dire…

PROJECT-ILES : D’après vous, la société mahoraise est-elle prête à entendre cette « vérité foudroyante » que vous mettez en scène dans votre pièce ?

Charifati Soumaila : La société mahoraise a toujours été une société du silence où les femmes devaient préserver leurs vies familiales ou conjugales peu importe le degré de souffrance vécue. Mais aujourd’hui, je pense que cette société a évolué et qu’elle est prête à entendre cette « vérité foudroyante ». Les signes sont présents : beaucoup de femmes osent maintenant se mettre au-devant de la scène et les hommes sont là également pour les soutenir et les encourager. 

PROJECT-ILES : En effet, les hommes sont là pour soutenir et encourager les femmes, fort heureusement. Cependant, dans votre pièce, le portrait que vous dressez des hommes n’est pas reluisant, notamment celui du père, Bafidia. Et même, celui qui vient en aide à la femme, aux femmes dans la pièce, n’est pas exempt de tout reproche. Il n’est pas épargné. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ce choix ?

Charifati Soumaila : Le portrait des hommes dans cette pièce n’est pas très flatteur, non pas parce que j’ai une dent contre les hommes, mais tout simplement pour dénoncer des comportements ou attitudes considérés comme étant normaux ou ordinaires dans notre société mais qui choquent plus d’un et qui peuvent détruire l’état psychologique de nombreuses victimes. J’ai été témoin de plusieurs situations similaires où les femmes s’en sortent meurtries et j’ai voulu dénoncer cela à travers les personnages de Bafidia et Mcolo.

PROJECT-ILES : Vous insistez beaucoup sur les conditions matérielles des femmes dans la pièce. Mafidia reste avec son mari parce qu’elle est « illettrée et sans ressources ». Réhéma est avec Bafidia parce qu’elle compte sur lui pour subvenir à ses besoins. Feda tombe dans le piège du même homme pour un téléphone portable. Qu’est-ce que le lecteur doit comprendre ? la libération des femmes passerait-elle par l’amélioration de leurs conditions matérielles ?

Charifati Soumaila : Dans cette pièce, le lecteur doit comprendre que certaines femmes se préoccupent beaucoup de leurs conditions matérielles. Elles vivent dans une société de consommation, s’y sentent prisonnières et recherchent un minimum de confort pour ressembler aux autres.  

Cependant leur libération passerait par l’amélioration de leur condition sociale, en se donnant les moyens nécessaires pour devenir indépendantes. C’est aussi une certaine façon de transmettre un message aux jeunes, qu’elles doivent se battre pour ne pas subir le même sort que Mafidia, Réhéma ou Féda, c’est-à-dire dépendre entièrement d’un homme au point de perdre sa valeur ou sa dignité. Chaque femme mérite le respect et la considération et on gagne facilement ce combat en étant active dans la société.

PROJECT-ILES : L’école occupe également une place importante dans la pièce. Selon vous, l’école participerait-elle également à libérer la parole féminine ? Contribuerait-elle à libérer la femme du joug de l’homme dans la société mahoraise que vous mettez en scène ?

Charifati Soumaila : Effectivement, l’école occupe une place importante dans la pièce. Et selon moi, oui, elle participerait à libérer la parole féminine puisqu’à l’école l’homme et la femme sont égaux. Ils acquièrent tous les deux les mêmes savoirs et les mêmes connaissances.  

Ainsi, l’école contribuerait à dépasser cette société mahoraise ancienne (puisqu’elle a beaucoup évolué) car elle offre des opportunités à la femme d’être totalement indépendante et de prendre son destin en main.  

Jeune dramaturge, Charifati Soumaïla est aussi enseignante. © Soidiki Assibatu

PROJECT-ILES : Le lecteur comprenant le shimaore pourrait sourire à la découverte des noms des personnages : Fidia, Bafidia, Mafidia, Réhéma, Mahaba, Bahati, Machaka, Hasara, etc. Pourriez-vous nous en dire davantage quant à l’acte de nommer vos personnages ?

Charifati Soumaila : La dénomination des personnages n’est pas l’œuvre du hasard : Fidia qui signifie « sacrifice » est en quelque sorte la fille sacrifiée du couple qui reste ensemble uniquement pour soi-disant le bien être de leur enfant. Bafidia n’aime pas sa femme mais la supporte pour sa progéniture. Mafidia supporte également son mari pour la stabilité de Fidia. Tous les deux se sacrifient pour elle mais aucun ne remarque le mal être profond de leur fille.

Réhéma incarne la « tranquillité ou la paix ». Elle est la seule qui ne porte pas bien son nom puisque derrière son apparence paisible, se cache une personnalité impitoyable.    

Mahaba qui veut dire « amour », celle qui est réellement amoureuse de Bafidia, au point d’accepter sans contrainte la polygamie de son mari.  

Féda qui porte le nom de l’« or » est un bijou pour sa famille. Aux yeux de cette dernière, elle représente le symbole de la fille modèle, bien éduquée. Et pour Bafidia, c’est un trésor inespéré vu leur différence d’âge.  

Bahati, « la chance » a des parents séparés mais elle résonne comme une adulte, accepte la séparation de ces derniers et considère même que c’est une chance énorme d’avoir un père et une mère qui se comprennent et s’entendent malgré leur rupture pour le bien de leur enfant.  

 Machaka et Hassara qui signifient « problème » et « perte » portent tous les maux de notre société. Mais dans la pièce, ils représentent les élèves perturbateurs, sources de scandale, de rumeurs au collège. Tout se sait à travers eux. Le malheur de leurs camarades fait leur bonheur.

PROJECT-ILES : En lisant la pièce, nous ne pouvons nous empêcher de penser à La fille du polygame de Nassur Attoumani et à la comédie de Molière. Cette tentative de rapprochement entre votre pièce et celles de Molière et de Nassur Attoumani est-elle pertinente ?

Charifati Soumaila : Cela fait très longtemps que j’ai lues ces pièces, vous êtes le premier à me faire cette remarque. Ce rapprochement est un hasard. Mon but était d’écrire une œuvre qui traiterait un sujet qui gangrène la société mahoraise et celle de l’archipel des Comores en général.  

Toutefois, les œuvres de l’archipel ont une ressemblance thématique. Il n’est donc pas anodin que mes personnages trouvent écho dans une œuvre antérieure puisque nous vivons à la même époque et que surtout nous avons aussi les mêmes thématiques. Il n’est alors pas surprenant que les thématiques soient redondantes à chaque siècle. S’il y a un rapprochement avec Molière, c’est peut-être qu’à cette époque les mêmes problématiques existaient déjà.

PROJECT-ILES : Avez-vous d’autres projets en cours ?

Charifati Soumaila : Actuellement, j’ai un chantier sur une autre pièce de théâtre que j’espère finaliser d’ici l’année prochaine. J’ai également un projet sur la littérature jeunesse notamment des contes et des nouvelles.  

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