PAR NASSUF DJAILANI

Désolé les enfants, est un album de la maturité, en forme d’excuses. Celle d’un artiste qui sublime la vie, mais qui se rend compte de l’insoutenable légèreté des êtres à en prendre soin. Mourchid Baco voit le jour dans le Sud profond de l’île de Mayotte, à Bandrélé le 1er janvier 1966. Son père est du village mahorophone de Bambo et sa mère du village malgachophone de Mtsangamouji. Elle a des origines malgache, pas étonnant quand on étudie le peuplement de son île natale. Il est à la fois un enfant du Nord et du Sud. Avec des identités multiples, riches, ouvertes d’où peut-être son appétit des autres, pour grandir en humanité.

Album après album Mourchid surprend par la poésie de ses textes et par cette application à marier les sonorités mahoraises aux influences roots, rock, reggae qui le nourrissent. Il a d’ailleurs théorisé son esthétique. Il appelle cela le zangoma. C’est un album qu’il faut avoir absolument, car il revisite et embellit quelques uns de ses plus beaux morceaux comme Mdru wa ngoma ou encore Bwana.
Muzuri
ufagna jeje
tsa ona ngomani
jana rizini mdru wa ngoma
rizini ata
rao
Nandzari
ufagna jeje
tsa ona ngomani
jana rizini mdru wagoma
rizini ata rao
mgna Mari ujuwa habari
rango ngoma ya handrissa
rizinguissa na ugudussa
rizini ata
Amrani
madza aka tsho
Areme saranga
Ahimi ahedze ulanga
Ahimbi ata rao
Atomani pvahe aka pvapvo
waye na mche wahe
aka apvingui ta na wanahe
wahimbi ata rao
Wiridani
alawa rango Dapani
Kusudi yahe
akojo ngadza na wagnahe
wahimbi ata
woyo yoyo yoyoï (3x)
Rumbe rumbe ru
Kula kakiya
rumbe rumbe ru
Kula kaona
rumbe rumbe ru
Kula kazina
rumbe rumbe ru
Kula kahimba
kareme ya masama
Lir Lir la chonga
woyo yoyo yoyoï (3x)
rumbe rumbe ru
Kula kazina
rumbe rumbe ru
Kula kahimba
kareme ya masama
Lir lir la chonga
woyo yoyo yoyoï (3x)
Il faut écouter et entendre cette voix qui respire le plaisir pris à donner en partage le poème. Il y a aussi la richesse des instruments qui déploie une belle fleur qui s’offre. Avec une certaine gravité dans l’adresse des textes qui racontent une île, une région du monde qui grimace. Et dont la population est résolue à ne pas se diluer dans l’uniformisation, la standardisation du monde.
Avec son titre Usendra hapvi bwana, le poète interroge. Quel est ce monde que les adultes sont en train de léguer à la jeune génération ? Mourchid Baco n’a pas rangé sa plume au verbe acéré, ni ses gants de boxe. Car pour lui l’art, la musique est presque un sport de combat. Pour conscientiser peut-être, pour interpeller sans doute. Avec un goût prononcé pour la subversion.
Il s’excuse presque avec ce désolé les enfants, de ne pas y être parvenu à faire sourire cette planète qui se laisse engloutir par la jungle de béton et l’insignifiance. Le béton gagne sur les terres cultivables à Mayotte, dans l’archipel. Les déchets submergent les villes, les ravins, les rivières sont polluées au vu et au su de tout le monde, sans véritable prise de conscience.
Mais le poète prévient et dit :
Tsa nori pvili pvili.
c’est une résolution prise par le combattant pour la préservation de la planète qui n’a pas cédé, qui ne cédera pas. Insulaire, il sait les espaces fragiles, avec la montée des eaux à Mayotte, le volcanisme qui se réveille, et la menace sur le climat qui n’augure rien de bons si l’on ne prend garde.
Dans un autre morceau tout aussi sublime il pointe la corruption qui est un autre sport national, une plaie ouverte.
Mizani, Mizani condro Masiwani
Zalawa zanguya ma pvochoni
On pense ici à un archipel qui se meurt parce que certains au lieu de redistribuer se remplissent les poches et en font un programme de gouvernement. Les opposants sont brutalisés, interdits de manifester, jetés en prison ou poussés vers l’exil. Tout cela au nom d’un nouveau programme d’avenir appelé : Émergence.
Mais le poète invite à ne pas se laisser impressionner. Il invite au dialogue, au respect des avis contradictoires.
Mizani, Mizani condro Masiwani
Ko dzaho Mzamani
Rizi hadissi ndrani
Mais il ne s’agit pas d’une invitation à un consensus mou, mais à une vraie lutte pour une vraie démocratie par le peuple et pour le peuple. Il oscille pour cela entre les langues. La langue mahoraise, malgache, est mêlée au français à l’anglais, pour l’éclosion d’une parole libre, universelle.
Never give up the fight, dit-il à son peuple, à commencer par les shababi, les plus jeunes. Tel un prophète qu’il refuse d’être, il entonne à l’adresse de ses fans :

Tsa nori pvili pvili
beberou
mgowa soifi zile mze
Ali pvili pvili ali tamtam
Sans doute un hymne au ralliement pour les autres combats à venir, les batailles du coeur encore à mener.
La richesse de l’album qui se colore de batterie, de saxophone, de piano. La bass magnifiquement servie par Abou Bass fait penser au Ska jamaïcain. Du Marley au meilleur de sa forme.
Sans oublier l’alliage du ngoma en fond sonore pour marquer la racine qui fait se tenir ce tissage méticuleux, astucieux d’une belle tapisserie d’une beauté éclatante.
On ne se lasse pas d’écouter et de reprendre à loisir :
Tsa nori pvili pvili
tsa nori pvili pvili
beberou
mgowa soifi zile
mze
littéralement, je boue comme un volcan, aussi brûlant que le poivre vert, le petit piment, l’air de dire. Chaud, faut pas déconner. Un texte vif, incisif, plein de colère. Une colère saine. Un album Sublime.