
PAR NASSUF DJAILANI
Surgit des dunes, des enfants pleins de rires. L’image est forte, saisissante.
Les ombres se jouent du réel, on devine le sable au vent. Est-ce la mer absente de l’image qui les fait courir ? Quel est le secret de cette joie éclatante de beauté ?
Le noir et blanc offre une idée insaisissable de l’éternité. Elle ouvre ce bel album, baptisé Zazakely. Ce sont des enfants de Madagascar que Pierrot Men ne se lasse pas de célébrer.

Les scènes que nous donne à voir le photographe sont presque des tableaux de maître. On imagine l’artiste en train d’attendre des heures pour composer, installer son sujet avant de déclencher. Mais il n’en est rien, si l’on en croit l’intéressé.
« Réfléchir une image, c’est courir le risque de la voir disparaître », explique Pierrot Men. Le photographe saisit l’instant, il déclenche comme ça vient, l’opération est une grâce, ça semble sans effort. Pourtant ce qu’il capte est une merveille. Déclencher trop tôt aurait donné une photo ratée, déclencher après aurait provoqué un bide. C’est sur l’instant et pas après. Les années de pratique, semblent être le seul secret. Pierrot Men est un maître, il n’y a pas à dire.

Prenez la scène de ce train (p. 51) avec ces enfants aux visages d’ange à la fenêtre. Observez ce vieil homme sur le quai de la gare de dos s’en allant vers l’infini, c’est si beau, si mystérieux qu’on pourrait penser que le photographe a fait poser des comédiens.
Admirez ce groupe de trois jeunes filles (p. 64) au-dessus d’un puits devant ce seau recevant un filet d’eau à mesure que l’une d’elle, la plus grande appuie sur la pompe à l’aide de tout le poids de son corps frêle. Observez leur regard rivé sur l’objet de convoitise, et si vous promenez votre regard sur la gauche, au loin comme au second plan, on devine une grappe d’autres jeunes filles de dos agrippées les unes aux autres, se racontant sans doute une histoire pleine de péripéties que l’on se damnerait pour connaître. Sans compter ce ciel que l’on imagine d’un bleu ensorcelant. Tout semble à sa place, en contraste, tout fait récit. Tout invite au voyage au royaume d’enfance.
Un texte, si beau accompagne Zazakely. Il y en a trois en réalité, mais celui signé Johary Ravaloson est sublime de beauté. Un texte si sensible, si tendre, comportant un conte cruel, celui de Trimobé. Un conte qui traduit la cruauté de cette vie gâchée, condamnée, arrachée aux enfants malgaches, au trop grand nombre d’enfants des pays du Sud. Comme une mise en garde, le romancier leur dit : « Aiguisez vos cornes, car des adultes oublieux ont cocufié l’avenir ».

Au détour d’une phrase, le romancier s’interroge, interroge les adultes, les « enfants de « Pierrot Men ».
Viendront les enfants. Que vais-je leur dire ?
A la petite qui apprend à marcher qui n’est jamais fatiguée. Au garçon qui court pour ne pas se perdre. A l’adolescente qui chante et se prépare à devenir une femme vaillante. Au jeune homme qui marche dans la nuit pour puiser la rosée du matin.
Aiguisez vos cornes ? Des adultes oublieux ont cocufié l’avenir.
(…)
Nul enfant nulle part. Un ogre siphonne le pays.
(…) le mondre sombre sous les cendres.

Un espoir malgré tout semble poindre des visages balafrés de sourire. « Si vous me lisez, prévient le romancier, se lézarde un mur ». Grâce au regard sensible de Pierrot Men, la lumière est au bout, éclatante pour montrer le chemin aux Zazakely qui marchent encore, pour faire sourire la vie. Zafimaniry tandroka ny ho avy[1].
[1] Les enfants qui poussent, disent les anciens, représentent les cornes de l’à-venir.