Le dernier texte de l’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira vient d’être couronné par le Prix Fetkann – Maryse Condé 2019, l’occasion de partager une lecture singulière d’un témoin du temps qui vit, lit et écrit la nuit.
PAR SOIDIKI ASSIBATU
Nuit d’épine de Christiane Taubira est d’abord un éloge de la nuit. En effet, dans cet ouvrage, l’ancienne ministre de la Justice donne à lire son amour de la nuit, la présente comme un moment de découverte d’autres possibles : la nuit ouvre la voie à d’autres mondes que celui convenu par la famille et la société. La nuit devient, ainsi, pour l’écrivain Taubira, un moment de marronnage : « Je suis en triple infraction. Lumière, lecture, musique. Comme en échelle logarithmique, la transgression est triple. J’enfreins le silence imposé par le couvre-feu maternel, je passe outre les goûts du professeur de musique qui survole Bach et s’attarde sur Lully, je contourne mes familiarités harmoniques ». La nuit, et ce depuis l’enfance, l’auteure marronne et vole du temps pour la lecture et la musique. Ainsi, au fil des pages, elle partage avec son lecteur ses références littéraires et musicales. Elle fait découvrir les auteurs, les artistes, les chanteurs qui nourrissent et peuplent son univers. Nuit d’épine est aussi, dans une large mesure, une invitation à aller à la rencontre d’auteurs et de chanteurs : Aimé Césaire, Frantz Fanon, Léon-Gontran Damas, Édouard Glissant, Toni Morrison, Tolstoï, Zola, Armstrong, Brassens, Nina Simone, Aretha Franklin, Charlie Parker, Brel, entre autres.
La première personne du singulier rappelle au lecteur que cet éloge de la nuit est également un récit autobiographique. L’ancienne garde des sceaux revient sur les événements, les engagements politiques qui ont marqué sa vie, comme par exemple le décès de sa mère, sa découverte de la lutte contre l’apartheid à travers les écrits de Steve Biko, les premières élections démocratiques en Afrique du Sud, son engagement politique pour l’indépendance de la Guyane, son projet loi de mariage pour tous, la rencontre avec Barak Obama, l’attentat du Bataclan, sa démission du ministère de la justice. Le choix que fait Christiane Taubira de mettre en avant ces événements et engagements politiques révèle le portrait d’une femme éprise de liberté, d’égalité et de justice. En effet, tout au long du livre, on découvre, pour reprendre une phrase d’Aimé Césaire cité à plusieurs reprises par l’auteure, une femme « debout et libre » et qui ne cesse de lutter pour un monde plus juste.
Enfin, Nuit d’épine propose un regard du rapport des territoires français d’outremer à la France. Et la native de Cayenne parle de ce qu’elle connait le mieux, la Guyane. Dans la lignée des auteurs qui ont nourri son imaginaire, elle dénonce la réalité socio-politique de la Guyane et par là même des territoires français d’outremer : « L’autorité, applaudie par les possédants, étale complaisamment une profonde aversion pour la société locale, ces gens qui ont l’outrecuidance d’aller à l’école, de réussir brillamment, de prétendre à des postes de chefs de service ou chefs d’établissement et de les occuper en suscitant l’admiration de leurs pairs et la gratitude des usagers. Nul malentendu. Qu’en soient avisés, par prudence ou par expérience, les esprits critiques ou rebelles : toute confrontation sera féroce. » Ce regard montre que, malgré le changement de statut politique de ces territoires, un schéma hérité du passé demeure, façonne leur rapport à la France et exacerbe les tensions entre les locaux et ceux qui représentent l’état français.


Nuit d’épine se lit autant comme une invitation à partager des références littéraires et musicales de l’auteure qu’un questionnement sur le sens de l’engagement en politique et au quotidien.
Lecture par Raphaëlle Saudinos
Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos
Le mardi 5 novembre 2019 à la Maison de la Poésie