PAR NASSUF DJAILANI

Le Balcon de Dieu démarre avec une peinture assez peu flatteuse de l’île de Mayotte sur laquelle arrivent des touristes Sud-Africains qui n’avaient rien à faire là. Dire cela n’est pas formuler une critique négative contre le dernier roman d’Eugène Ébodé, c’est simplement pointer un nœud qui risque d’empêcher les récalcitrants d’aller au bout d’un roman qui vaut la peine d’être lu.

D’abord les personnages : il y a un couple Donovan et Melania, héritiers des Krugger, parents de Melania. C’est un voyage de noces qui les fait « s’échouer » à Mayotte alors qu’ils étaient en route pour le paradis mauricien. Ce sont les caprices d’un cyclone qui font se croiser leur chemin avec une île étrangère à leur imaginaire. Les 60 premières pages sont accablantes pour Mayotte. À ce stade de la lecture, on se demande à quoi bon, pourquoi et quel est cet amour haine pour cet endroit du monde ? Donovan est intrigué, intéressé malgré la surprise, malgré le choc, les contrastes. Melania est plus réservée. C’est peu dire, elle a une profonde répugnance pour cet endroit « cauchemardesque ». On la devine, un tantinet raciste, partagée entre le grand cœur de son mari et le conservatisme des Krugger. Elle est plein de préjugés, contrairement à son jeune mari, passionné par Mandela, et par la lutte anti-apartheid. Deux contraires qui s’attirent sur la terre des contradictions. On se demande : diable, quand le sujet Mayotte entre-t-il enfin en jeu ? Et c’est là que le romancier nous cueille à froid avec la manière. Les préjugés, il les a concentrés d’emblée à l’entame du roman pour mieux les anéantir après. Un pari risqué mais qui marche, si l’on se laisse porter. Pour nous guider dans l’exploration de cette Mayotte mystérieuse, il y a un personnage écrivain, qui ressemble à s’y méprendre au romancier et dramaturge mahorais Nassur Attoumani. Ils ont le même prénom. Et quand on connaît l’amitié qui lie Eugène Ébodé au romancier « enchapeauté » le rapprochement est cohérent. Le personnage écrivain sert non seulement de guide, mais de révélateur d’une société qui est en butte avec ses problèmes. Nassur décrypte pour l’étranger. Il philosophe, affectionne les bons mots, fait de l’humour, distille des paroles de sagesse.
Donovan veut venir à Mayotte pour « aider », habité par pleins d’idéaux, plein d’humanité pour rendre ce qu’il a reçu de Mandela, essentiellement aux pauvres mahorais qui souffrent. Quand sa jeune épouse lui demande mais pourquoi ne le fait-il pas en Afrique du Sud où tant de gens sont dans le besoin. Il répond pouvoir être plus utile à Mayotte. Jeunes parents d’une petite fille, ils feront l’expérience d’une désillusion dans cette île pleine de contradictions. Une île aux prises avec une métropole insensible à ses problèmes et un environnement immédiat saturé de pauvreté qui l’empêche de « se développer ». Le roman est plein de contrastes. C’est un enchantement, racontant une histoire très dure, dans une belle langue.
A ceux qui l’accusent de procéder par le détour pour mieux appréhender les problématiques à l’oeuvre à Mayotte, Eugène Ebodé, rencontré au SALIMA (à la 2e édition du Salon du livre de Mayotte du 17 au 21 octobre 2019) explique qu’il faut « sortir de l’île et aller jusqu’en Afrique du Sud pour trouver les clés des problèmes de l’île ». Le romancier a une formation en sciences politique, avec un certain esprit de synthèse. Le balcon de Dieu cherche peut-être ce regard de surplomb pour mieux cerner les enjeux du marasme mahorais. A moins que…