SIKA MILA, un album solaire signé M’TORO Chamou

MotoroholdG

Sika Mila, le dernier album de Mtoro Chamou est une petite merveille. On se souvient de l’ébauche du morceau qu’il avait interprété pour la première fois sur la scène du Milatsika en 2008, avec son frère Mikidache. Envoûtant. Le clin d’œil au festival Milatsika était tout trouvé. L’a-t-il fait exprès ? Milatsika en kibushi, le parler malgache de Mayotte veut dire « Nos traditions ». En mahorais Usika Mila est une invitation à « préserver la tradition ». Le malgache de Mayotte utilise le même mot « Mila » pour désigner la tradition, en plus du mot fomba. De quelles traditions s’agit-il au fond ? Elles sont plurielles forcément puisque nous sommes à Mayotte, dans l’archipel des Comores, dans l’océan indien, carrefour du monde, et des civilisations. De quelle palette de couleurs Sika Mila est-il composé ? Il y a d’abord un fond, c’est un rythme qui s’appelle le Mgodro que Mtoro Chamou agrémente de pleins d’autres ingrédients glanés au cours de ses voyages, des rencontres, des plats savourés, des coups de cœur, des amours, des déceptions, des joies. Et il faut dire que l’album qu’il nous sert en ce mois d’avril 2019 est un très beau voyage en dix stations.

Ça démarre d’abord par Chengue Langu, comme une affirmation par le possessif d’une volonté de sauvegarder le Chengue dont il parle. Le Shenge ou encore le Maulida Shenge est un chant de communion, interprété sur une place à la fois par les hommes et par les femmes. La chanson semble dire que la parole politique s’est presque accaparée de cet outil de communion pour diviser. En pays musulman, justement, un petit rideau sépare hommes et femmes sous un abri de toile blanc. L’artiste cherche grâce à la magie de la musique à lever ce voile pour que les visages se sourient, se racontent les rêves possibles. Peut-être. Il a de l’utopie et c’est heureux.

m_cover-sika-milalechat-ronan-soizic-heraudet

Le deuxième morceau est intitulé Mwenge, et ce n’est sans doute pas un hasard. Mwenge veut dire « Lumière » en mahorais. Est-ce la lumière apportée par la musique qui doit luire dans les cœurs ? Sans doute, mais c’est aussi, une invitation aux autorités de toutes sortes d’apporter un peu de vérité sur la nuit obscurantiste qui recouvre l’île. Mtoro est-il un artiste engagé ?

Sika Mila, le troisième titre nous l’avons dit est un titre programme. Quant à Mgodro Rebel, la quatrième station est un appel à une forme d’insurrection.

Udhuluma

na oulawe maore

pare itrendre

kwahery ushonga wa babylon

pare ringadze

piasi sawa

tsija pvan

hatru leo

pvwa zaja

isrisonge

isirireme zengwe

Udhuluma nawlawé maore

Pare itrendre

Un morceau rock qui se marie bien au mgodro. La guitare électrique vient lever une parole qui se dresse, rebelle.

Udjendra ? Evoque l’enfant errant. On peut penser par exemple à ces nombreux enfants sans repères qui pullulent dans l’île. Conséquence directe d’une politique migratoire française qui reconduit à la frontière des parents sans papiers en laissant les enfants mineurs sur l’île dans des familles éloignées, déjà bien en peine de prendre soin des leurs. Le morceau fait penser aux très belles ballades d’Abu Chihabi, avec l’harmonica qui introduit le morceau.

Le titre Ziviri est une merveille de beauté. Mtoro c’est d’abord un poète, il distille son poème dans un mahorais limpide, métaphorique, subversive. Dans sa passion de la langue mahoraise, il fait penser à son grand frère et maître Mourchid Baco, le créateur du concept du Zangoma*. Et que dit Za vira ? Il invite à l’apaisement des passions. Zavira ziviri, « le passé, c’est le passé ». Un poème qui milite pour plus d’humanisme ici-bas.

Motro évoque par ailleurs la figure de Ba Kamali. Un père de famille brûlé par la vie. Il est dépensier, sans que l’on voit ce qu’il fait de l’argent qu’il n’a pas. Ivrogne à souhait, sans revenu pour s’adonner à son petit plaisir. L’alcoolisme et la drogue fait des ravages à Mayotte et maintenant dans le reste de l’archipel. Le réel est si dur, les hommes souvent tentés de faire sourire leur quotidien, s’enivrent jusqu’à plus soif.

Mais il semble hélas que le poète n’est pas prophète en son pays. Mtoro s’estime être le plus « mal aimé » des artistes mahorais, car parfois incompris des siens, ou en tous cas sa parole libre n’est pas toujours appréciée des élites réfractaires au verbe incisif du poète. Mais, il faut admettre sans conteste que Sika Mila est la plus belle déclaration d’amour que l’on puisse faire à Mayotte, à l’île, à l’archipel qui l’a vu naître. Et pour l’illustrer, écouter le morceau Kamaria. Un beau duo avec l’artiste Bo Houss :

Par amour,

O bweni

Mwana beni Kamaria

Kamaria

Kama, Kamaria ! A l’écouter, elle est sublime, ensorcelante, irrésistible.

Cela dit, qui aime bien, châtie bien comme dit l’adage. Avec le titre C’est la vie que l’on a déjà entendu dans un album collectif appelé Tsenga, le poète fait preuve d’une grande lucidité. Conscient des déchirures qui brûlent le pays, le poète invoque une prière :

Natso pvendza rionane

rihadisi mahadisi ranhandrissa

Natso pvendza riswamihi yane

ridele zimby rafagniyana

natso pvendza riboué

riboué ya matso ne rionane

natso pvendza rihose -e

rihose ziroho zy rahare -e

Un vœu qu’il adresse à un frère, peut-être à une sœur, à qui il prie de se guérir ensemble du mal qui ronge les cœurs. Les disputes vont et viennent comme dit la chanson : « c’est la vie, c’est comme ça. C’est la vie qui nous donne qui nous reprend. »

Quant à Wassi de Walé, que l’on pourrait traduire par Nous sommes de ceux, ou de celles qui… il fait penser à Guem. Les amateurs de Mgodro seront servis. C’est presque assuré que ce morceau va inonder les radios, d’abord dans l’océan indien et certainement ailleurs. C’est l’histoire des enfants de navigateurs, des descendants de fabricants d’embarcations, nostalgiques des boutres que plus personne ne sait plus fabriquer. L’histoire de ses petits-enfants d’agriculteurs qui ne savent plus tirer profit de la terre, qui ne savent plus où trouver des graines pour replanter. Qui n’ont même plus d’outils pour sarcler la terre. L’appétit pour une pseudo modernité a-t-il mené vers une impasse ? La mondialisation sauvage a-t-elle arraché l’île de ses racines ? Une critique à peine voilée des bouleversements institutionnels que connait l’île depuis près d’une quinzaine d’année. Avec cette impression étrange chez la population de ne jamais tirer profit des promesses de l’Etat lointain et parfois « mal-aimant ». M’toro dit-il vrai ? Il nous le demande :

Zendre jeje

ata matsembe karisina io ?

Sika Mila est au fond un album qui interroge. Et qui fait du bien à l’âme, à la peau, au corps.

Nassuf Djailani

*Zangoma, la rencontre entre la musique mahoraise et toutes les influences qui viennent la féconder, l’enrichir, la faire briller.

Pour celles et ceux qui veulent venir lui proposer une danse, M’Toro Chamou, sera le 3 mai 2019 au New Morning à Paris.

Format : CD

Genre : World, Quartet Records

Date de sortie : 26/04/2019

https://www.youtube.com/channel/UCkMH0sFSVMM9PFUfQL8HvfQ

Publicité

vos observations et commentaires nous intéressent

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s