« Ne pas entretenir des colères, mais susciter des lucidités »*

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©Simon Gosselin

 

Un comédien seul en scène s’avance dans la Nouvelle Salle de la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny. Des néons surélevés sur des pieds à roulettes bordent la scène. Des lumières qui font penser à une rue. Le comédien est vêtu d’un jogging noir et d’un débardeur blanc, de baskets blanches, une barbe fournie. Il s’avance vers le public et commence à nous abreuver de paroles. Et Dieu ne pesait pas lourd… est un monologue écrit par l’auteur, metteur en scène et comédien Dieudonné Niangouna.  Le texte est une forme d’interpellation. « La langue est très puissante, comme dans tous les textes de Dieudonné Niangouna », confie Frédéric Fisbach qui a demandé ce texte à son ami l’issue d’une collaboration autour de Shéda, un spectacle très remarqué en Avignon en 2013.

« Ceci est l’histoire d’un échoué », prévient d’emblée le comédien qui interprète Anton et qui est aussi le metteur en scène du spectacle.

Un jeune homme « balancé », comme il dit dans une ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire en France) qui voudrait presque se laver d’une « odeur » qui lui colle à la peau. Métaphore à peine voilée des clichés que la société accole aux jeunes issus des quartiers défavorisés et sensibles de la société française. Pourtant « personne ne savait que même dans la misère on grandit. Et on finit par devenir la réponse de ce que tout le monde a négligé comme question ». La route entre la cité et la prison est presque devenue un passage obligé. Et Anton ne semble pas y déroger. A mesure qu’il nous parle, on se rend vite compte que nous sommes dans une prison et que le détenu s’adresse à une caméra qui le surveille en permanence. Chaque mot de trop est signalé par une alarme qui agresse les oreilles. Sa logorrhée est une forme de réquisitoire sur le monde. C’est un « texte énervé », résume Frédéric Fisbach. Un texte très intime, une forme d’introspection écrite de manière resserrée mais qui s’apparente à une fresque dont l’auteur est coutumier. « Le défi pour moi, c’était de m’approprier la langue de Dieudonné, et je dois admettre que j’ai été impressionné par la nature du texte » confie le comédien et metteur en scène.

Sur la genèse du texte : « Je ne sais pas en combien de temps il l’a écrit, il faudra lui demander, mais c’est un texte qui aura mis 8 mois à me parvenir. J’ai dû en lire les premiers jets en février 2015, et j’ai dû recevoir le texte final en avril. Ça devait être juste après les attentats de Charlie Hebdo. D’où cette coloration ». Même si le comédien prévient que l’actualité récente ne doit pas enfermer les lectures possibles du texte. « Cette pièce ne se limite pas à l’actualité du terrorisme qui secoue l’Europe et le monde, c’est plus large, ça parle du monde, de manière plus large. » On navigue des barres d’immeubles d’une cité française, visitées par une jeune journaliste qui en prend pour son grade, à une discothèque américaine. Un périple au cours duquel on croise des djihadistes traqués par la CIA et le FBI.

Sur la mise en scène, Frédéric Fisbach rappelle avoir voulu un « théâtre sommaire, très premier, sans artifice ». Quant à l’idée de la vidéo surveillance, « l’auteur en parlait dans son texte, ce n’est pas quelque chose que l’on a rajouté. » Même si « la vidéo est une aide pour le comédien, elle permet de respirer », confie Frédéric Fisbach.

Ce texte, c’est « une grande colère, face au monde tel qu’il va, mais qui se justifie par rapport aux injustices de l’époque. D’ailleurs, Dieudonné Niangouna disait récemment dans un entretien qu’il ne fallait pas entretenir les colères, mais qu’il fallait susciter les lucidités, se départir de cette colère ».

C’est aussi la première fois que l’auteur écrit pour un acteur blanc : « Ça a été un effort supplémentaire pour lui, sans doute, car jusqu’à cette pièce, ses personnages étaient essentiellement joués par et pour des acteurs noirs. C’est un être très lucide, pas manichéen. Et puis quand un blanc parle du racisme, c’est entendu différemment, ça c’est sûr », conclut Frédéric Fisbach.

Nassuf DJAILANI

*Et Dieu ne pesait pas lourd… se jouera pour cette saison à la Comédie de Saint-Etienne – CDN du 4 au 6 avril 2018, au Théâtre de l’Union – CDN de Limoges dans le cadre des Francophonies en Limousin le 30 septembre 2018 et au Théâtre Joliette à Marseille dans le cadre des Rencontres à l’échelle du 15 au 16 novembre 2018.

 

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© Simon Gosselin

Rencontre avec l’auteur Dieudonné Niangouna.

 

PROJECT-ILES : Pouvez-vous nous parler de la genèse du spectacle ? Vous connaissiez-vous avec le metteur en scène et comédien Frédéric Fisbach ? Un texte que vous lui dédicacez d’ailleurs dans la version éditée…

Dieudonné Niangouna : La genèse du texte est une demande, et non une commande de texte. En 2014, Frédéric Fisbach, qui venait de travailler avec moi comme comédien quand j’avais écrit et mis en scène Shéda pour le festival d’Avignon en 2013 – l’année où je fus artiste associé – m’avait demandé de lui écrire un monologue. Sans indication de sujet, ni précision du thème à traiter. Il voulait un monologue de Dieudonné Niangouna à porter seul sur scène. Une année après, je lui rendais le texte intitulé «Et Dieu ne pesait pas lourd…»

PROJECT-ILES : Une question sur la thématique de l’enfermement : pourquoi avoir choisi cette thématique ? Anton y répond un peu dans le spectacle d’ailleurs, avec l’anecdote de la journaliste qui vient dans la cité. L’idée était-elle de donner à entendre la voix de ceux qui n’ont « point de bouche », comme le dit Aimé Césaire ?

Dieudonné Niangouna : L’enfermement n’est vraiment pas la thématique. Ce qu’il raconte n’est pas la prison. La prison n’est que l’endroit où il raconte son histoire passée. Et cette histoire qu’il raconte n’est pas l’histoire de l’enfermement.

PROJECT-ILES : On est interpellé en permanence dans ce spectacle. Ce monologue est tantôt une confession, tantôt une adresse. Anton demande, à un moment donné, à la caméra de ne pas l’interrompre parce qu’il est en pleine conversation avec le public. On est à la fois au théâtre, en prison, dans une rue froide avec beaucoup de violence. Pourquoi ce dispositif ?

Dieudonné Niangouna : Il est justement en prison pour avoir vécu des choses qui intéressent les services secrets. Et ce sont ces choses qu’il raconte. Ces choses qui ont créé le trouble de sa vie depuis son enfance dans une banlieue, en passant par la recherche de son identité, chercher à se désolidariser des odeurs de sa mère (une question filiale), à la recherche de l’amour (qui lui apparaît sous les formes de Mamie Mason, le roman de Chester Himes) qu’il va chercher à Seattle aux États-Unis, où il fera la rencontre d’un personnage subversif Saül Alioune, qui, sous la couverture d’un compositeur de musique au Babylon Club, délivrait des messages radicaux qui appelaient au djihadisme. Sa relation avec ce personnage douteux va lui créer des problèmes. Le FBI va l’engager pour retrouver ce fameux Saul Allioun disparu depuis peu. Il sera envoyé dans des lieux de conflits au Moyen Orient et en Afrique à la recherche ce mystérieux personnage. Cette traque étant sans succès, Anton sera ramené par ses commanditaires dans une prison sous haute sécurité. Et c’est dans cette prison qu’il raconte toute son histoire avant d’être libéré pour arriver au théâtre et rejouer sa vie devant des spectateurs. L’objet n’est donc pas l’enfermement.

Propos recueillis par Nassuf DJAILANI

Et Dieu ne pesait pas lourd…, Dieudonné Niangouna, éditions Les Solitaires Intempestifs, octobre 2016.

 

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