PROJECT-ILES : Ahamada Smis, vous êtes apparu sur la scène musicale comorienne de la diaspora il y a quelques années avec Être (en 2010). Un très bel album mélangeant slam et sonorités comoriennes. Vous revenez avec Afrosoul. Quelle est l’histoire de ce nouveau projet ? Un voyage encore ?
Ahamda Smis : Afrosoul est un album hip-hop soul composé à partir de musiques traditionnelles des Comores et de Zanzibar. Certains titres ont même été composés pendant mes tournées dans l’océan Indien. Musicalement, c’est un voyage dans le temps à travers une œuvre contemporaine. La plupart des refrains sont chantés en comorien et en swahili sur des mélodies jouées au dzenze et au gabusi. On est effectivement dans un voyage où les musiques chaloupées de l’océan Indien rencontrent les musiques noires américaines.
PROJECT-ILES : En écoutant vos compositions, on ressent très fort le regard sans concession d’un poète sociologue de la société. La chanson pour vous doit-elle être un vecteur de conscience ? Doit-elle susciter la réflexion ? Une interrogation sur soi, sur le présent ?
Ahamada Smis : J’aime souvent dire que j’écris comme si j’avais une caméra sur l’épaule. J’observe la société en me questionnant sur le passé qui donne le résultat du présent que nous vivons. Une chanson, c’est un format très court pour aborder un sujet sur différents angles en quelques mesures. C’est-à-dire essayer de dire le plus de choses possibles avec le moins de mots, en allant à l’essentiel avec le plus d’impacts. Je reconnais ma chance d’avoir cette passion, ce mode d’expression pour livrer ma vision en musique. Je ne prétends pas éveiller les consciences, si j’arrive juste à inviter quelques esprits au questionnement, à la réflexion, c’est déjà pas mal.
PROJECT-ILES : Vous rendez notamment hommage à Salim Hatubou dans ce dernier album. L’écrivain et conteur comorien a-t-il été un compagnon de route pour vous ?
Ahamada Smis : Salim Hatubou était mon ami, mon voisin à Marseille et mon compagnon de route. Je suis son ainé d’une dizaine de jours et nous sommes, tous les 2, arrivés à l’âge de 10 ans en France. Nous partagions le même amour pour notre patrimoine culturel et avions notre enfance dans notre archipel comme source d’inspiration. Salim a beaucoup contribué à la création de mon précédent projet « Origines » dont l’album est sorti en 2013 avec 3 spectacles différents. Pendant 1 an, nous avons organisés des rendez-vous littéraires animés par Salim tous les mois au théâtre Toursky, en traitant différents thèmes de nos Origines. C’est notamment Salim qui m’a fait connaitre l’existence des « Yandous » joutes verbales très poétiques avec lesquelles les plus grands guerriers des sultans de nos îles s’affrontaient oralement. C’est par cette manière que Salim a contribué à la création du « Vaisseau voyageur », un spectacle où je suis accompagné par un chœur de femme de Mayotte et un chœur d’homme originaire de la Grande Comore chantant des Kasuda et où je déclamais des yandous…. Comme c’est Salim qui maitrise l’art de l’écriture des contes, c’est lui qui me corrigeait les textes de mon conte musical « Les chants de la mer » en y apportant ses précieux conseils… Il me faudrait plus qu’un paragraphe pour parler de Salim. Il fait partie des anges que j’ai eus la chance de rencontrer dans ma vie, c’était logique pour moi de lui rendre hommage dans cette chanson « Malaïka ».
PROJECT-ILES : Vous utilisez à la fois le comorien et le français dans vos textes. Est-ce important d’allier ces deux langues pour créer vos textes, pour composer votre musique ?
Ahamada Smis : Dans les précédents albums, j’avais commencé tout doucement à mettre des refrains en comoriens, le français étant la langue avec laquelle j’ai plus de faciliter pour écrire mes textes. Sur l’album Être (2010), il y avait le morceau Massiwa en featuring avec Cheikh MC où j’avais utilisé un sample de voix de femmes qui chantaient le refrain en comorien. Il y avait aussi le titre Hama beigné où le refrain était chanté par le chanteur de twarab Soultoine. Sur l’album Origines, c’était différent, je suis venu créer directement ce projet dans l’océan Indien (Mayotte, Grande Comore, Anjouan, Zanzibar et la Réunion) et après avoir composé les musiques, les refrains venaient naturellement dans la langue locale. Je m’étais même essayé à écrire toute une chanson entièrement en comorien Bahari, pour ce faire, je me suis beaucoup inspiré des poèmes de Baye Trambwe. Sur le nouvel album Afrosoul une partie des refrains est en comorien, sauf une ou deux exceptions qui sont chantées en français et en anglais. Pour composer ce nouvel album, je me suis inspiré des musiques traditionnelles des Comores et de Zanzibar pour en faire des versions hip-hop soul sur lesquelles je rappe mes textes en français. Aujourd’hui ma musique est inspirée de la culture de mon archipel et la langue en fait partie, c’est pour cette raison que j’aime l’utiliser dans mes refrains et rapper, slammer mes textes en français.
Propos recueillis par Nassuf Djailani
Entretien que vous retrouverez dans le Cahier Musique de la revue PROJECT-ILES (papier) à paraître courant Mars 2018.
Pour acheter l’album : https://ahamadasmis.lnk.to/afrosoul
*L’album Afrosoul sort le 2 mars 2018 (Colombe Records/ L’Autre Distribution). Ahamada Smis sera en tournée dans l’océan Indien au mois de Mars. Le 7 mars à l’IFM de Madagascar et le 9 mars à LESPAS de St Paul à La Réunion.
Discographie
• 2013 – Origines (Colombe Records/ L’Autre Distribution) – Album • 2010 – Etre (Colombe Records) – Album
• 2009 – Puissance Rap 2009 (Wagram) – Compilation
• 2004 – Stop à l’affront (E-streetz) – Compilation
• 2004 – Sur un air positif (Virgin) – Compilation
• 2003 – French Connection (Kopfnicker/Pias) – Compilation Hip Hop
• 2003 – Où va ce monde ? (Colombe Records) – Mini album
• 2002 – Feat. dans l’album du 3ème œil « Avec le cœur ou rien » (Sony) • 2001 – Gouttes d’eau (Colombe Records) – Maxi CD