L’orchidée violée, un texte bouleversant de Bernard Lagier, dans le OFF à Avignon

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Avec Astrid Mercier dans le rôle de la mère (©crédit photo : blind)

La scène démarre avec une femme sur sa rockingchair. Elle a les yeux dans le vide. Elle balance sur elle-même comme absente à elle-même. Elle trône au-dessus d’une table circulaire qui oblige à la voir.

« Quelque part dans une cité populaire Maria est seule, enfermée dans son appartement face à un miroir. Une question se pose à elle, en ce jour du quinzième anniversaire de son fils : doit-elle tuer ce fils qui est responsable des maltraitances qu’elle subit après avoir été la cause d’un passé plein de souffrances ? Doit-elle le livrer à la mère patrie ? Quels liens unissent la mère de famille et la mère patrie dans cette détresse ?
Ce texte est un voyage dans l’inconscient et le conscient, dans la souffrance d’une femme qui a bien les contours d’un pays en questionnement. »

Seule en scène, Astrid Mercier nous plonge dans cette journée anniversaire, celle des quinze ans de son fils, mais aussi et surtout dans la quinzième année de son viol. On ne sait pas trop dans quelle société nous sommes, même si on pense à l’univers caribéen, on ne sait pas non plus à quelle époque nous sommes. Mais l’histoire est forte, celle d’une femme violée qui se confie sur un meurtre qu’elle prémédite. Faut-il tuer ce fils ? Ce fils que le régime réclame, car les fils doivent être des soldats.

La mise en scène est très belle, avec de belles lumières qui ponctuent un texte rythmé, exigeant que sert très bien la comédienne. Une parole tissée de plusieurs morceaux tantôt jazzy, avec Night poem de Felipe Cabrera et Leonardo Montana, tantôt sur des morceaux plus entraînant, comme Bwa brilé de Eugène Mona.

L’orchidée violée, dans une mise en scène de Hassane Kassi Kouyaté avec Astrid Merci, à l’Espace Roseau à 14h10 (Relâches  les lundis).

Rencontre avec Bernard G. Lagier, présent au festival.

Est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse de ce texte, qu’est-ce qui a motivé l’écriture de L’orchidée violée, mis en scène par Hassane Kassi Kouyaté ?

Bernard G. Lagier :

Oui, j’ai voulu dans ce texte travailler sur la violence dans les familles, l’idée étant d’élaborer un diptyque qui consiste dans une première partie : Mon père tout puissant, qui évoque la violence entre le père et le fils, leurs dits et non dits sur la façon de voir la société. La deuxième partie qui s’intitule L’orchidée violée c’est le rapport d une violence entre mère /fils.

Concernant la rencontre avec l’éditeur ?

C’est d’abord une rencontre à Québec avec Soeuf Elbadawi, avec qui j’ai commencé à parler de ce texte.  Et c’est lorsque nous nous sommes retrouvés à nouveau en Martinique dans le cadre d’une résidence que l’éditeur de Bilk&soul m’a fait la proposition de m’éditer, quand il a su que Hassane Kouyaté avait l’intention de l’adapter au théâtre. J’avais déjà écrit auparavant, Moi chien créole…chez LANSMAN.

Un titre évocateur, plein d’engagement, est-ce que vous vous décrieriez comme un auteur engagé, dans l’engagement?

Non, clairement non, je n’écris pas de pièce politique, c’est vrai qu’il y a dans mes textes, et dans celui là en particulier plusieurs confrontations, avec un questionnement politique et sur ce que l’on laisse sur ce territoire que l’on appelle le monde. J’aborde aussi la question des dominés, du rapport que les hommes peuvent avoir entre eux. La question politique n’est pas au centre, mais je l’évoque de manière détournée.  Elle reste pourtant importante.

Comme avec Moi chien créole, ce texte L’orchidée violée est également un monologue…

Moi chien créole soulève la question de l’errant sans statut qui observe le monde. Dans cette pièce on a affaire à deux individus qui abordent la question de l’amour qu’il ne sait pas exprimer, et la question de la révolte, avec le chien comme personnage principal. Pour la forme, je m’intéresse beaucoup aux monologues. Moi chien créole est un texte qui a été joué entre autres au studio theatre de la comédie française, ou encore à Montréal, dans une mise en scène de Sylvain Bélanger, avec Erwin Wech.

Vous faites une analogie entre la mère et la mère patrie

Oui, je me suis posé la question de comment cette mère devient une symbolique de la mère patrie avec ses tares, ses souffrances, son incapacité à trouver des réponses rassurantes pour son enfant. On est au jour et elle décide de le tuer, sans vraiment passer à l’acte. L’enfant a 15 ans, il est né d’un viol à l’âge de 15 ans. La fille-mère est jetée à la rue par son père, avec sa famille qui ne la comprends pas, ne la ménage pas, ne la pardonne pas. C’est aussi indirectement le viol de la terre natale que j’évoque, le viol des populations autochtones, dépossédés de leur âme.

Est-ce qu’on peut se permettre de situer l’Histoire dans l’espace, on pourrait être en Haïti, non ?

On est dans la caraïbe, mais on est aussi partout dans le monde où il y a de la domination. C’est une pièce qui se déroule dans un temps intemporel, nous sommes dans une société coloniale, mais nous sommes aussi le 14 juillet 2016 à Nice par exemple, là où il y a des pseudos Héros qui au nom des dictats assassinent .Les dictateurs, les dominants sont toujours à l’œuvre. Pour l’essentiel on est dans une société dans laquelle des formes de domination existent. Mais je n’ai pas eu le souci de situer la pièce dans un pays donné, on peut être à la fois à Fort de France, à Port au Prince ou ailleurs.

Est-ce que la pièce telle que vous l’aviez écrite c’est ce qui est restitué sur scène ?

C’est le texte intégral, avec la seule réserve que le texte initial est ponctué en amont et en aval d’un poème que le metteur en scène n’a finalement pas retenu. Son idée était que la comédienne, Astrid Mercier livre un texte qui est plein de souffrance, en le livrant froidement sans le poème.

Le choix musical est très beau…

Oui, on entend du Hugues CHARLEC au début, ensuite Night poems de Leonardo Montana Felipé Cabrera ou encore du Eugène Mona.

Si on se résume, cette pièce c’est l’histoire d’une fille mère violée à 15 ans, qui au jour du quinzième anniversaire de son enfant, se souvient comment tout s’est déglingué…

Est-ce que c’est faux de voir aussi un aspect de votre pièce comme une charge contre l’engagement des fils d’outre-mer dans l’armée comme seul alternative qui s’offre à eux comme seule perspective de s’accomplir en société, c’est un peu cela que l’on comprend en creux, avec ce président qui veut des fils soldats qui s’engagent pour défendre la patrie ?

Je veux seulement poser le problème de nos jeunes et de leur désarrois et d’une absence de vrais propositions pour les aider à s’en sortir. J’interroge la militarisation, les fanatismes religieux les idées arrêtées, les certitudes, les stigmatisations. Et me semble-t-il aucune ne répond aux problèmes de la société actuelle. J’écris pour poser des questions, interroger les logiques pour montrer comment elles peuvent être vicieuses.

Une écriture de la déconstruction ?

Oui, parce que je me rends compte qu’on ne répond pas aux questions fondamentales. Et que les réponses ne sont pas à la hauteur. Prenez  Maria, personnage principal de la pièce, elle n’est pas aidée par sa famille, qui ne cherche pas à la comprendre après son viol, et sa grossesse, elle est jetée à la rue. On se rend compte que celui qui lui propose la religion est tout aussi vicelard. Je parle aussi du ridicule du sexe facile, de l’impasse politique du président Vonvon. Elle lui dit à un moment donné, « tu n’en voudras pas de ce fils », parce que son fils n’a pas vocation à devenir un soldat, et qu’il n’y a que les utopies qui nous aide à grandir. Elle démonte tout l’argumentation des nationalismes, des dictatures. Et que la vraie volonté est de considérer ces enfants comme des demi dieu. Que la patrie ne doit pas sérier ses propres enfants. L’interrogation principale commence dans la déconstruction de l’argumentaire militariste. Maria se révolte, elle cherche d’autres lumières qu’elle voit dans les yeux de son fils.

Propos recueillis par Nassuf Djailani

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