Daniel Labonne : «  Le théâtre peut encore soigner nos obsessions tumultueuses et apaiser la violence que nous réinventons ».

 

Lafimela est la dernière pièce publiée à ce jour par Daniel Labonne , auteur dramatique et comédien mauricien. Une pièce en deux actes écrite en hommage à Kaya (Joseph Reginald Topize), chanteur poète de l’île Maurice, mort tragiquement en 1999.

Lafimela est un titre formé de trois mots combinés pour retrouver la musicalité et la fragile originalité créole, précise l’auteur. Le titre veut dire « cette fumée-là » ou « la fumée dont il est ici question ».

 

PROJECT-ILES : Pourquoi revenir sur cette période trouble de l’histoire de Maurice ?

Daniel Labonne : L’histoire n’est ni trouble, ni heureuse. Il faut laisser au lecteur et au spectateur le soin de tirer sa conclusion. Le devoir de l’artiste et du dramaturge est de porter témoignage. L’artiste ne fait pas l’histoire non plus : sa tâche consiste à renvoyer à la société un reflet d’elle-même. C’est le souci de vérité qui sous-tend la démarche de l’artiste. Comme disait Camus, l’important est de faire son métier. Dans le contexte du livre LAFIMELA, je ne fais que mon métier après que l’artiste Kaya ait fait le sien. Il ne s’agit pas non plus d’une ‘période’ comme vous dites, mais d’un incident. Une allumette qui s’enflamme presque par accident et qui s’éteint d’elle-même. Cependant, le bref instant que dure cette flamme jette un éclairage singulier. L’on voudrait que ce soit banalisé, que la routine soit vite ramenée à la fabrication et consommation des nouvelles. Mais tout comme le médecin doit identifier le moindre symptôme chez son patient, fut-il bref et sans effet précis, il revient à l’artiste de se pencher sur la société avec la même sollicitude. Dans ce contexte, c’est la mort du chanteur populaire dans des circonstances suspectes et la réaction populaire inattendue qui cognent à la porte de l’histoire. C’est cette mort subite et violente qui transforme et l’œuvre et la dimension de cet artiste. Un tel impact pourrait bien s’inscrire dans le temps. Je ne serai pas surpris que dans cinquante ou cent ans, l’on se souvienne de Kaya en tant qu’artiste ayant marqué son époque et sa société.

 

PROJECT-ILES : Que représente la figure de Kaya pour le dramaturge que vous êtes ?

 

Daniel Labonne : Je vous surprendrais peut-être en vous disant que le dramaturge avait plus un souci de style au moment de la genèse de LAFIMELA. Comment trouver sa propre voix en ce début de siècle marqué par une forte odeur d’extinction ? Que faut-il dire et comment le dire ? La pièce a été écrite d’un trait en 2006, soit sept ans après les événements. Lorsque j’avais découvert la musique de Kaya, je fus frappé par la qualité de ses textes et l’originalité de cette voix qui dépassait l’élément purement  musical. Il redéfinissait la langue et la réclamait avec une unique autorité. Seuls les poètes détiennent ce genre d’autorité. Sa voix s’élevait au dessus des médiocres disputes et des précieux nouveaux savants de la société. Le hasard a voulu que je le rencontre un soir, chantant dans un bar à moitié vide, à Grand Baie. Il chantait Marley. Lorsqu’il m’a été présenté, il m’a fait l’effet d’un homme affable et humble. Il y avait dans le personnage comme une mystique marleysienne… Ce qu’il représente ? D’abord, que l’Ile Maurice a une longue tradition de poètes et dans ce sens il est rassurant de découvrir à la fois une confirmation de cette tradition et une nouvelle orientation poétique. Il est rare qu’un pays soit sous l’emprise d’une telle émotion à l’égard d’un artiste disparu. Le phénomène est universel et je ne fais pas du nationalisme. Finalement, comme l’atteste mon livre EMPOWERING THE PERFORMER et ma thèse universitaire, j’avance que l’artiste et le poète auraient en notre période trouble un rôle nouveau et unique à jouer. A ce titre, signaler l’universel dans un incident insulaire fait partie de ma recherche et de ma mission. Identifier un personnage théâtral qui valorise la pièce et éduque le spectateur fait partie des défis qui se posent au dramaturge devant la page blanche.

 

 

PROJECT-ILES : Vous auriez très bien pu tomber dans une pièce à thèse pour parler de cet « incident »?

 

Daniel Labonne : Cela aurait été une vraie défaite pour moi. Je suis homme de théâtre et poète avant tout. D’où mon recueil MARRONNAGES paru chez l’Harmattan avant LAFIMELA. Poète malgré les contradictions qui jalonnent mon existence, comme peuvent l’attester mes amis proches. J’ai plus de principes que de convictions. Certains canons gouvernent mon travail de dramaturge. Le devoir d’enseignement accompagne tout bon théâtre. La place de la beauté reste primordiale. Le devoir d’être soi-même loin de l’imitation servile et la mode du moment est une autre exigence. Le défi de dégager une voix qui soit juste, qui apporte un peu de lumière et un minimum de joie reste un constant souci. Surtout, faire la place de la poésie au théâtre. Le tribalisme et la propagande sont non seulement vulgaires : ils sont des obstacles à l’élévation poétique. La pièce à thèse est une corvée pour l’acteur.

 

PROJECT-ILES : Pourquoi cette obsession de la fumée ?

 

Daniel Labonne : Ce n’est pas une obsession. C’est un traitement poétique et visuel appliqué à la scène. Il est très difficile de nos jours de surprendre le spectateur et d’apprécier les plaisirs simples. Nous vivons dans un monde de blasés ou les enfants sont gavés d’images et les adultes sont traités comme des enfants…Par ailleurs, les mots sont vidés de sens, usés à l’excès. Par les medias, par la communication automatique gérée par la technologie. Les images envahissent sans cesse notre vécu en laissant peu de place à l’imaginaire. Dans LAFIMELA, j’ai voulu revenir à la simplicité et à l’innocence. Ramener le spectateur au plaisir sain de la transparence et au jeu d’illusion de la scène. Rêver, cette aptitude humaine que l’on voudrait coloniser. Je prétends que le théâtre peut encore soigner nos obsessions tumultueuses et apaiser la violence que nous réinventons constamment. Dans ce sens, la fumée est synonyme au silence visuel. Il fallait représenter une paix illusoire dans un contexte de violence. Pour appui, je me suis inspiré du débat sur la drogue et la décriminalisation… Et puis, il ne faut pas oublier l’importance du rituel au théâtre qui doit résister aux automatismes et l’extravagance du cinéma, de la télévision… Dans toutes les cultures, la fumée se prête au rituel.

 

PROJECT-ILES : Dans une interview au Mauricien, vous parlez de projet d’école de théâtre, de votre volonté de faire de cet art, un enseignement dans votre île, ou en est la situation aujourd’hui à Maurice ?

 

Daniel Labonne : Cela devient chaque jour plus un vœu qu’une volonté… Puisque la seule réalité devient la mortalité et je ne suis plus très jeune. Cette même réalité oblige l’homme de théâtre à rendre le message plus clair et a passer le relai malgré et contre tout… Il y a une certaine urgence. Je réalise maintenant que la recherche que j’ai entreprise dans les années 70s à Maurice est totalement méconnue. Aussi je m’empresse de produire un ouvrage qui expose les tenants et les aboutissants de cette recherche qui répondait a cette question ‘Quel Théâtre Pour Quel Peuple ?’ Je prépare également la publication de la pièce la plus élaborée étant sortie de ce travail fort sérieux : ‘SAPSONA ou Apres La Mort La Tisane’. Mais il faut être encore plus pragmatique. C’est ainsi qu’un projet est né autour de mon premier livre CAP SUR L’ILE MAURICE (Papa Laval). Ceux qui aiment cette comédie musicale portant sur la période post esclavage, me conseillent de lier cette pièce avec la formation d’acteurs, de chanteurs, de danseurs et de techniciens de théâtre. L’idée serait de lier la production de la pièce à la formation et de mettre sur pied un théâtre communautaire privé dans lequel les jeunes et moins jeunes joueraient leur propre histoire…La situation a Maurice ? Points de vue de l’observateur : un jeune homme vient de succomber à la violence policière en détention ; les deux théâtres bijoux de l’ile (le Théâtre de Port-Louis et le Plaza ) où j’ai souvent joué en tant qu’acteur, sont toujours à l’abandon ; le concept d’un seul peuple (lepep) vient d’être ressuscité lors des récentes élections générales avec un slogan en kreol (Vire mam) qui rétablit le lien organique de la langue avec le peuple qui l’a développée. De manière générale,  il y a moins de liberté pour la création théâtrale et moins de curiosité de la part du public…

 

PROJECT-ILES : Depuis Londres parvenez-vous à continuer à faire entendre votre voix singulière dans l’océan indien ? Est-ce que Lafimela sera montée prochainement dans votre pays, à Londres ou en France ?

Daniel Labonne : Je continue mon ‘marronnage’ faute de mieux… Cela dit, je ne suis pas à plaindre et j’ai le privilège de choisir mon style de vie. Certes, je saigne secrètement que personne ne m’ait jamais invité à simplement faire du théâtre dans mon pays. Et ce, malgré mes efforts en tant qu’acteur, metteur-en-scène, dramaturge, formateur et chercheur. La différence de Londres, c’est que précisément on m’y a invité un jour à venir enseigner et mettre en scène. Par frustration, je brûle mon énergie en tant qu’entrepreneur. Heureusement qu’il me reste l’écriture. Et comme vous le savez, il importe peu que l’on soit à Londres, à Rio ou à Paris, si l’on se fie à l’écriture. L’important est de rester fidèle à ses principes, de se discipliner à l’ouvrage, et de nourrir ses racines. Là encore, mon ‘marronnage’ me permet de rôder régulièrement dans le bassin de l’Océan Indien… Oui, mon vœu est de voir sur scène LAFIMELA à Paris où je compte des amis chers. Au moins un théâtre envisage d’insérer la pièce dans sa programmation. Au moins un acteur connu a signalé vouloir être de la partie avec LAFIMELA. Au moins, un metteur en scène… Mais pourquoi pas monter la pièce LAFIMELA à La Réunion, voire dans le cadre du festival créole des Seychelles ou de Montréal ? Le dramaturge guette les moindres signes avec une anxiété toute maternelle…

Propos recueillis par Nassuf Djailani

 

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