Sergio Grondin : « Kokbatay » ou comment boxer la vie dans le réel réunionnais

 

 

 

 

Kokbatay, c’est l’histoire d’un homme qui se bat pour se guérir de l’accès de violence. Une histoire forte avec une belle langue, portée à la scène par le comédien réunionnais Sergio Grondin. Rencontré au festival des francophonies en Limousin, il était à Limoges pour défendre « Kokbatay », mis en scène par David Guachard.

« Avec cette pièce j’ai voulu parler du rapport qu’a ce pays avec la violence. La Réunion est un pays hyper-développé avec une population très violente. Un pays qui est présenté comme une île paradisiaque où la réunion des peuples marche à la perfection. Sauf que c’est loin d’être le cas. Il y a une opposition très forte entre la sauvagerie et la civilisation ».

Cette violence extrême est incarnée par John le Rouge, le personnage principal de la pièce.

 « J’ai grandi avec l’image du père, ancien joueur de football, un homme qui ne se laissait pas faire. Un homme qui allait au bal avec un couteau fourré au creux du jean, au cas où. Pour l’enfant que j’étais, il était la figure du cowboy. Adolescent, j’avais des rapports très compliqué avec les autres, avec mon père. J’aimais la castagne, et il ne fallait pas me chercher, sans que cela ne se termine par des coups de poings. Dans nos pays, l’image du caïd est très présente. Cela pose la question de quel héritage laisser aux enfants. Les pères violents ne renvoient pas d’autres images à leurs enfants qui n’ont que la violence pour s’exprimer.

C’est aussi une lettre aux parents, à ce pays, à La France, dont j’aime la langue. Il y a une vraie interrogation, regarder ce père en face, pour accéder à une seconde peau, il est urgent pour nous d’être des hommes ».

Rencontre (un entretien que vous pouvez retrouver dans son intégralité dans la version papier de la revue ):

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Sergio Grondin dans Kokbatay (DR)
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Sergio Grondin dans Kokbatay (DR)

PROJECT-ILES : D’abord sur le dispositif du plateau, ce bac rempli d’eau, avec un tabouret sur lequel vous êtes tantôt assis, tantôt debout c’est le symbole, une métaphore de l’île ? Cette eau dans ce bac, symbolise à la fois le sang et l’océan indien dans lequel vous évoluez ? C’est une idée assez intéressante qui fait appel à l’imaginaire, au voyage, c’était cela l’idée de départ ?

Sergio Grondin : C’est tout à la fois l’île, le « ron de kok » – ces espaces où s’affrontent les coqs de combat -, le ring de boxe, le ventre de la mère. L’eau dans laquelle baigne mon personnage c’est la représentation du sang, de la sueur, du liquide amniotique, et l’océan. Ce tabouret c’est mon refuge, un podium, un piton, le plus haut du pays, l’endroit d’où je regarde mon histoire défiler.

PROJECT-ILES : La musique en plus de la vidéo est très présente dans le spectacle, entre les comptines ou balades que vous chantez, on croit reconnaître Kokbatay interprété par Baster, autant de références qui font appel au fond culturel réunionnais, c’est vraiment une démarche identitaire que vous accomplissez dans ce spectacle ? Comme une recherche de reconquête de votre être ?

Sergio Grondin : Vous avez bonne oreille, c’est effectivement le morceau de Baster remixé par Kwalud, le musicien du spectacle. Tout mon travail est axé autour de mon identité, ou plutôt de ma recherche identitaire, un retour vers les racines qui font de mon peuple ce qu’il est aujourd’hui mais, évidemment, vers ma propre origine. Mais les deux sont intrinsèquement liés. La privation de parole est une douleur très présente dans notre  jeune histoire, nous les descendants d’esclaves qui n’avaient le choix que de se taire, nous dont la langue est encore nié, nous dont les souffrances n’apparaissent dans aucun livre d’histoire, nous les invisibles, les français d’outremer, les africains d’ailleurs. C’est évidemment une reconquête mais plus encore une affirmation de soi face à l’autre, sans volonté de confrontation mais juste une envie d’un regard égal.

PROJECT-ILES : La machette que l’acteur extirpe de l’eau est un point de bascule dans cette pièce, on est au sommet de cette violence qui rejaillit et qui coule tout au long de la pièce, c’est le symbole du meurtre du père, vous avez besoin de tuer symboliquement le père, et de toute la figure paternaliste qu’il y a derrière la tutelle de La France ?

Sergio Grondin : On est un pays qui est à la fin de son adolescence, à un moment où il est symboliquement important de « tuer le père », de choisir sa propre route. Il est question d’autonomie, d’indépendance, de choix qui ont toujours été des peurs pour ce père symbolique et qui nous ont étés transmises. Au regard des « autres », de ces gens de France, enfants du départementalisme et de l’esprit de Debré, nous, gens des îles, sommes restés de grands enfants, des pupilles de la Nation. Il est, selon moi, essentiel d’apprendre enfin à marcher de ses propres pas, ce qui ne veut pas dire renier complètement cette paternité, mais avancer, enfin, vers un ailleurs bâti de nos propres mains. Et peut-être reconnaitre enfin cette mère qui est la nôtre, africaine et fière. Mais c’est là une autre histoire.

Propos recueillis par Nassuf Djailani

 

 

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