Ghizza, à tombeau ouvert est un très beau roman, celui d’une jeune romancière comorienne. Elle s’appelle Faïza Soulé Youssouf, elle est née en 1985, à Moroni, ce qui coïncide avec la date de naissance du premier roman comorien d’expression française (La république des imberbes de Mohamed Toihiri). Pour rappel, elle n’est pas la première romancière de l’archipel, Coralie Kouraïchia Frei a écrit avant elle, La perle des Comores).
Ghizza, est beau par la langue du roman : des phrases courtes, percutantes, touchantes, avec des fulgurances à chaque pages. C’est un vrai plaisir de lecture ce roman. Ce roman est bon parce qu’il y a ce ton propre à une romancière qui semble avoir trouvé sa langue, son souffle, ça semble couler de source, comme les larmes qui coulent sur les joues de la narratrice. La jeune romancière sait nous tenir en haleine, elle nous manipule, nous mène par le bout du nez et ça marche, on se laisse prendre, on est ensorcelé.
« Il fait nuit à présent. Au loin, le bruit des vagues. Plus près, la musique de mon cœur. Musique rythmée. Cœur en attente de promesses. Je me mord l’intérieur de la joue gauche, comme chaque fois que je suis stressée, et reprends sa main. Il le remarque, mais ne dit rien. Je prends mon verre, il prend le sien. Nous trinquons. Lui à la vie, moi à ce jour. Je suis déjà loin, très loin. il s’en rend compte. Je pense qu’il aime nos silences riches, mes yeux qui s’en vont au loin parfois. Il touche une ride qui me barre le front. Je souris. La ride disparaît. Il est content. On peut se remettre à parler ». (P.26)
Cette fille « sans nom », cette Ghizza qui se confie sur le sort de cette jeune femme promise en mariage à un homme que sa famille a choisi. Ghizza est comme une pestiférée dans cette famille qui la méprise, pour mieux la domestiquer, pour mieux la dominer, pour mieux la marier, même si elle ne se laisse pas faire. Surtout qu’elle n’a pas peur de nommer les choses, de mettre les pieds dans le plat, pour rester en vie. Et elle cogne Ghizza, elle cogne dur, parce qu’il faut rendre les coups pour survivre. Elle est pleine de vie, parce qu’elle embrasse la vie à pleine bouche. Jamais un roman comorien n’a respiré autant de joie de vivre malgré le sort réservé à cette femme, aux femmes comoriennes.
Ghizza, à tombeau ouvert, éditions Coelacanthe, juillet 2015
Nassuf DJAILANI